La suppression du traitement discriminatoire des étrangers en matière de bail commercial

Dans un précédent article, intitulé « Des démarches facilitées pour les investisseurs étrangers souhaitant constituer une société en France sans y résider », qui avait été publié tant sur notre Blog que dans la revue économique « Corée Affaires » (numéro d’avril 2014), nous avions expliqué que la loi n° 2014-1 dite de « simplification de la vie des entreprises », promulguée le 2 janvier 2014, avait abrogé un certain nombre de formalités administratives qui rendaient jusqu’alors plus long et plus difficile la constitution d’une société de droit français par un étranger non ressortissant de l’Union européenne.

La récente promulgation, le 18 juin 2014, de la loi n° 2014-626 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises (dite loi Pinel) contient également des dispositions en faveur des étrangers non ressortissants de l’Union européenne.

Cette loi, qui compte plus de 70 articles, vise plusieurs objectifs, notamment celui d’améliorer la situation locative des commerces en aménageant le régime des baux commerciaux. A ce titre, le statut des baux commerciaux, régi essentiellement par les articles L. 145-1 et suivants et R. 145-1 et suivants du Code de Commerce, a été substantiellement modifié.

On ne retiendra ici qu’une seule mesure, qui intéresse particulièrement les locataires commerçants étrangers et les bailleurs étrangers hors Union européenne.

Il s’agit de l’article 5 de la loi dite Pinel, qui abroge les articles L. 145-13 et L. 145-23 du Code de Commerce, cette abrogation étant effective depuis le 19 juin 2014, date de publication de la loi au Journal Officiel.

L’article L. 145-13 du Code de Commerce réservait, de façon tout à fait discriminatoire, le bénéfice du droit au renouvellement du bail commercial aux preneurs de nationalité française.

Ainsi, en application de cet article, les dispositions conférant au preneur ce que l’on appelle la propriété commerciale, c’est à dire le droit pour le preneur, à l’expiration du bail commercial, d’une durée habituelle de neuf ans, d’obtenir le renouvellement du bail commercial ou, à défaut, une indemnité d’éviction à verser par le bailleur, ne pouvaient être invoquées par des commerçants de nationalité étrangère, agissant directement ou par interposition d’une personne de nationalité française.

Pour les étrangers, la jouissance du bail commercial se limitait donc à la période initiale du bail. Au-delà, on entrait dans une zone inconnue et une forte insécurité juridique, le renouvellement du bail commercial pouvant être refusé par le bailleur sans qu’il ait à verser une indemnité d’éviction au locataire.

Il importe de noter que certaines catégories limitées d’étrangers échappaient à ce traitement discriminatoire.

Il s’agissait :

  • des ressortissants d’un Etat membre de la Communauté européenne ou d’un Etat partie à l’Accord sur l’Espace Economique Européen ;
  • des étrangers ayant combattu dans les armées françaises ou alliées pendant les guerres de 1914 et de 1939, ce qui, au vu l’ancienneté de ces conflits, ne devait bénéficier qu’à une poignée d’étrangers au cours des dernières années ;
  • des étrangers ayant un ou plusieurs enfants de nationalité française, cette condition devant être remplie au jour de la demande de renouvellement du bail commercial ;
  • des ressortissants des pays offrant la réciprocité législative aux citoyens français, ce qui supposait la réunion d’une double condition, à savoir l’existence d’une législation protectrice similaire à celle du statut des baux commerciaux et l’octroi du bénéfice de cette loi aux citoyens français lorsqu’ils exercent dans ce pays une activité commerciale. Or cette double condition était quasiment impossible à remplir dès lors que la propriété commerciale semble être une spécificité franco-belge ;
  • et enfin, des étrangers ressortissants de pays ayant conclu avec la France une convention diplomatique conférant la réciprocité diplomatique. C’est notamment le cas de l’Algérie, d’Andorre, de la Chine et des Etats-Unis.

Il importe également de noter que pour échapper au traitement discriminatoire de l’article L. 145-13 du Code de Commerce, le locataire commerçant étranger pouvait, de façon assez simple, constituer une société de droit français, même une société unipersonnelle de type EURL, SASU ou SELARL, à laquelle il apportait son fonds de commerce, et donc son droit au bail.

Enfin, la Cour de Cassation, dans un arrêt très important du 9 novembre 2011, a jugé que l’article L. 145-13 du Code de Commerce, en ce qu’il subordonne, sans justification d’un motif d’intérêt général, le droit au renouvellement du bail commercial, protégé par l’article 1er du 1er Protocole additionnel de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, à une condition de nationalité constitue une discrimination prohibée par l’article 14 de cette même convention.

Ainsi, depuis cet arrêt de la plus haute juridiction judiciaire française, il n’était plus possible, en pratique, pour un bailleur de s’opposer à une demande de renouvellement formée, en fin de bail, par un locataire étranger au seul motif de la nationalité de ce dernier.

La loi dite Pinel du 18 juin 2014 vient donc consacrer, bien tardivement, cet arrêt de la Cour de Cassation en abrogeant purement et simplement les articles L. 145-13 et L. 145-23 du Code de Commerce, ce second article constituant le « pendant » du premier puisqu’il déniait au bailleur étranger (à l’exception des catégories d’étrangers visés ci-dessus) le droit de refuser le renouvellement du bail commercial sur la partie concernant les locaux d’habitation accessoires des locaux commerciaux pour habiter lui-même lesdits locaux.

Cette consécration législative offre plusieurs avantages au locataire étranger.

En effet, tant qu’existait l’article L. 145-13 du Code de Commerce et malgré sa mise à « l’index » par la Cour de Cassation, le locataire étranger restait quelque part à la merci d’un bailleur indélicat qui pouvait prétexter ne pas avoir connaissance de l’arrêt précité du 9 novembre 2011. Dans ce cas, le locataire étranger n’avait pas d’autre choix que d’assigner son bailleur en justice pour pouvoir prétendre bénéficier du droit au renouvellement, ce qui engendrait nécessairement des coûts.

Par ailleurs, la loi dite Pinel a remplacé la sanction de la nullité des clauses contraires aux dispositions d’ordre public du statut des baux commerciaux par leur « réputation non écrite », le droit au renouvellement du bail faisant bien partie de cet ordre public.

Ainsi, un locataire étranger peut désormais agir à tout moment pour demander au Juge d’écarter une clause de son bail qui ferait référence à l’ancien article L. 145-13 du Code de Commerce ou qui aurait pour effet de faire échec à son droit au renouvellement. Une telle clause sera réputée non écrite, c’est à dire qu’on considérera fictivement qu’elle n’a jamais existée.

Etrangers et français sont maintenant sur un pied d’égalité.

Les étrangers, bénéficiant désormais pleinement du droit au renouvellement, peuvent envisager sereinement d’investir en lien avec le début de leur activité commerciale et pour développer leur clientèle car ils savent que la stabilité et la valorisation de l’emplacement où ils exercent leur activité leur resteront normalement acquises au terme du premier bail commercial.

De même, en conférant tous les attributs de la propriété commerciale au locataire étranger, le législateur a eu pour objectif essentiel de le protéger et d’éviter qu’il ne soit, après neuf années d’exploitation ou plus, contraint de repartir à zéro.

Enfin, le locataire commerçant étranger qui souhaiterait exercer son activité à titre individuel et non sous forme sociétaire, sait qu’avec la promulgation de la loi dite Pinel, il n’a plus besoin de constituer une société pour avoir le droit de solliciter, à titre personnel, le renouvellement de son bail commercial.

Bien évidemment, pour pouvoir désormais prétendre à ce droit à renouvellement, le locataire étranger doit satisfaire aux conditions prévues à l’article L. 145-1 du Code de Commerce, à savoir :

  • exploiter un fonds commercial ou artisanal dans l’immeuble loué,
  • être immatriculé au registre du commerce et des sociétés ou/et au répertoire des métiers,
  • être propriétaire du fonds de commerce exploité dans les lieux loués,
  • et avoir exploité le fonds de commerce de manière effective au cours des trois années ayant précédé l’expiration du bail.

ll importe également de noter que la loi dite Pinel a entendu, dans un souci de protection des locataires, encadrer le loyer lors du renouvellement.

Ainsi désormais, en cas de déplafonnement du loyer lors du renouvellement du bail (un tel déplafonnement pouvant intervenir en cas de modification notable de la valeur locative), la variation de loyer qui en découle ne pourra conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente.

Au vu de cette réforme des baux commerciaux, les commerçants étrangers, qui sont déjà titulaires d’un bail commercial ou qui envisagent d’en conclure un, dans le cadre d’un prochain investissement en France, peuvent donc être pleinement rassurés sur la sécurité juridique de leurs projets.